Les policiers aiment se raconter. Souvent, ils retracent leurs propres expériences et parfois celles des autres, mais assez peu se risquent à la fiction. Certains se sont néanmoins jetés dans le roman ou le scénario, parfois sous des pseudos. Avec plus ou moins de succès. Et je sais de quoi je parle.
On peut se dire que la vie d’un flic est pleine de la vie des autres – souvent dans ce qu’elle a de plus tragique. Mais cela ne suffit pas à justifier ce besoin d’aligner des mots. En fait, je crois qu’il y a une autre raison. Le policier fait partie d’une drôle d’espèce : il passe une partie de son temps à raconter par écrit ce qu’il a fait durant l’autre partie. Surtout en PJ, où chaque acte fait l’objet d’un procès-verbal : déplacements, constatations, perquisitions, arrestations, autopsies, etc. Et à la finale, l’OPJ doit encore résumer l’ensemble de son enquête avant de la transmettre au magistrat compétent. Parfois une chronologie de plusieurs dizaines de pages. Certains de ces « rapports de synthèse » sont d’ailleurs de véritables petits bijoux.
Si la plupart attendent d’avoir quitté la Maison pour prendre la plume, Danielle Thiéry n’a pas su temporiser. Son premier livre date de 1995, alors qu’elle est détachée à Air France. En 1997, elle publie La petite-fille de Marie Gare, chez Robert Laffont, qui servira de bible à la série télévisée Quai n° 1. Série dans laquelle on découvre un autre flic, Olivier Marchal. Depuis, elle n’a jamais faibli. Aujourd’hui, Danielle Thiéry est la lauréate du Prix du Quai des Orfèvres pour son manuscrit Des clous dans le cœur, publié chez Fayard. Dans son récit, on suit pas à pas un groupe de la division des affaires criminelle de la PJ de Versailles (ce qui nous change du 36) qui se dépatouille d’une enquête sur la mort mystérieuse d’une star du show-biz, un rocker sur le retour. « Le corps est allongé face contre terre entre un canapé de style anglais et une table basse chargée de revues et de vaisselle sale… ». L’enquête va se télescoper avec un vieux dossier jamais refermé. Une affaire qui a profondément marqué le personnage central du roman, le commandant Maxime Revel, et qui lui reste plantée dans le cœur comme un clou.
Le prix du quai des Orfèvres est décerné chaque année par un jury composé de policiers, de magistrats et de journalistes. Ce ne sont pas toujours des chefs-d’œuvre, mais ce prix est le seul à ma connaissance à être attribué sur manuscrit. Il s’adresse donc aussi bien aux auteurs confirmés qu’à ceux qui n’ont pas réussi à forcer la porte d’un éditeur. En tout cas, cette année, c’est un bon cru. Très bizarrement, le plus prenant ce n’est pas l’histoire, mais le réalisme de l’enquête, sa technicité, et aussi la nature des personnages. On les suit et on a un peu l’impression de faire partie du 19 (avenue de Paris) et de pénétrer avec eux dans ces anciennes écuries de Versailles, classées monument historique, où est installée la direction régionale de la PJ.
L’année dernière, le prix avait été attribué à un avocat, Pierre Borromée, pour son livre L’hermine était pourpre, toujours chez Fayard. Une sorte d’exclusivité pour cette maison d’édition, qui s’engage, en contrepartie à une diffusion de 50 000 exemplaires. Ce qui est quand même exceptionnel.
Jean-Pierre Pochon, lui, n’a pas cherché à décrocher un prix. D’ailleurs, son livre, Sonate pour un espion, chez Robert Laffont, n’est pas un polar, mais un roman d’espionnage. Enfin, quand je dis roman…
C’est l’histoire d’un agent double, un espion tchécoslovaque en poste à Paris dans les années 80, qui décide de virer de bord. Lors d’une réception dans une ambassade, il glisse une enveloppe dans la poche du manteau d’un officier de l’armée française. Elle contient une cassette et un petit mot : à remettre à la DST. En écoutant l’enregistrement, le sous-directeur du contre-espionnage pense à une bonne blague. Il s’agit d’une sonate pour piano du compositeur tchèque Leos Janacek . Mais après la musique, en fin de bande, il y a l’enregistrement d’une conversation. C’est ainsi que le bébé arrive sur le bureau du commissaire Maxime Jaussan qui dirige la division axée sur les pays satellites de l’URSS. Un poste que justement Jean-Pierre Pochon a occupé durant plusieurs années. L’agent double restera un mystère. À la Direction de la surveillance du territoire, il est surnommé Leos, et, pour respecter la parole donnée, jamais personne ne tentera de l’identifier. Ses informations transiteront toujours par une boîte aux lettres morte, un trou dans un mur. Puis, il y a eu l’implosion du bloc communiste… Jean-Pierre Pochon nous entraîne dans le monde feutré de la rue Nélaton, là où se trouvait la DST avant que Nicolas Sarkozy ne décide de la création de la DCRI. Il nous fait découvrir un service de police bien différent des stéréotypes, un service de police où les cellules de garde à vue étaient le plus souvent vides. Dans la revue de la Défense nationale, le commissaire Jean-Paul Mauriat écrivait, il y a de cela près de 50 ans : « Le crime que nous poursuivons est un crime sans cadavre et sans indice. Le raisonnement sera le seul fil conducteur… »
Christine Rogier est capitaine de police dans un commissariat parisien mais, comme Danielle Thiéry, l’envie d’écrire la tarabuste. Pas question d’attendre la retraite ! Après un premier roman aux éditions AO, elle vient de sortir La Cristaine ou Journal d’une fliquette, chez Jacob-Duvernet. Avec son style très particulier, elle nous raconte son métier, mais aussi, dans les années 80/90, les difficultés pour une femme de s’imposer dans un milieu encore très macho. Lorsqu’elle a passé son concours de gardien de la paix, l’inspectrice qui surveille les épreuves lui confie : « Ça peut être bien [pour une femme]. Mais il faut toujours en faire plus pour obtenir le même résultat ! » Je ne suis pas sûr que ce ne soit pas toujours le cas pour les policières qui sont sur le terrain…
Depuis plus de 20 ans, Christine Rogier fréquente les commissariats parisiens. Une véritable loge sur la misère humaine. Homme ou femme, même si on aime son job, cela finit par atteindre le moral. C’est du moins ce que l’on ressent à la lecture de son livre. « Les quelques années qu’il me reste à accomplir peuvent passer vite. Je ne sais pas ce que va devenir le métier d’ici là ; ni même ce que j’en penserai… Je peux me remettre à rêver. Un jour, je raccrocherai ma tenue définitivement, comme des chaussons de danse, après une fracture irrévocable. »
Chez le même éditeur, qui a publié de nombreux livres de policiers, on peut aussi s’intéresser à une BD, Le mystère HB. C’est le compte-rendu de la prise d’otages à la maternelle de Neuilly. Le 13 mai 1993, une vingtaine d’enfants et leur maîtresse sont retenus dans leur classe par un individu qui menace de tout faire exploser. L’histoire est racontée par Claude Cancès, alors directeur de la PJ parisienne. « Une affaire qui, par sa dimension dramatique, reste une de celles que j’ai le plus intensément vécue… » On y découvre certains éléments qui sont peu connus et notamment le déroulé de l’intervention de Nicolas Sarkozy, alors maire de la commune. Les images et un plan des lieux permettent de mieux comprendre la chronologie des faits, et s’il est amusant aujourd’hui de mettre un nom sur chacun des participants, on comprend mieux leurs hésitations à décider entre intervention et négociation.
Il y a sans doute d’autres livres de policiers qui sont sortis récemment. Mais on ne peut pas tout lire ! En tout cas, ça fait du bien de se détacher de l’actu.
7 réponses à “Le roman de la capitaine”
Sans l’aide de toutes vos pages, je ne peux pas finir mon propre travail.
Au sein de l’aider à contenu de votre article, je vais imprimer aussi bien que garder sous la main comme un dispositif de guidage.
Ne sachant comment entrer dans le débat sur Colonna, et ainsi poster le cinquante-septième commentaire, je laisse ici ma petite contrib’. Attention, ne pas confondre les hyènes et les chèvres. Sauf au pentagone et dans les bergeries corses où les modes opératoires sont à peu près les mêmes.
A l’attention de untel qui comprendra. (du moins j’espère, lol…)
Comportement :
Dans une troupe de hyènes tachetées, l’individu dominant est généralement une femelle. Les individus dominés doivent se soumettre à une inspection régulière de leurs organes génitaux par les individus dominants. On pourrait prendre les femelles pour des mâles après une observation superficielle, car le clitoris est particulièrement développé et ressemble fort à un pénis. Cela a longtemps occasionné parmi les populations indigènes des croyances selon lesquelles il n’y aurait pas de femelles chez les hyènes. Les femelles produisent de la testostérone en grande quantité. Les individus mâles se font souvent maltraiter par les femelles.
La domination de la femelle est héréditaire. Elle donnera naissance à une future dominante. Si plusieurs petites femelles naissent dans cette portée, on dit que la petite future dominante tuera très vite les autres petites femelles. Quoi qu’il en soit, elle imposera très vite, encore bébé, sa dominance. C’est la princesse héritière et, quel que soit son âge, le reste de la troupe lui doit le respect… en lui montrant leurs parties génitales. Pour imposer cette marque de respect. Elle s’approche tout simplement de ses congénères la queue dressée, tandis que les autres membres de la troupe adoptent une attitude de soumission. Elle copie cette attitude régalienne de sa mère. Cela fait partie de son éducation de future reine. La dominante n’a pas besoin de chasser. Elle peut réclamer sa part de n’importe quelle proie attrapée par les autres hyènes de la troupe, ou tout au moins les meilleurs morceaux, ce qui lui laisse beaucoup plus de temps pour élever sa petite princesse, en vraie future dominante.
Je tenais à féliciter ici-même le dénommé untel, qui peut-être est untelle après tout et qui a très bien choisi mon pseudo.
Perso, j’ai commandé deux livres de ce roman. Qui dit mieux ?
Pas encore reçus, donc pas lu. Notez, le pluriel pour reçus et le singulier pour lu. bien évidemment, je recevrai deux volumes, et n’en lirai toujours qu’un seul. Et comme j’ai pris pour habitude de ne pas parler de ce que je ne connais pas sur ce point-ci de discussion mon avis s’arrête là.
Alors, untel, vous êtes toujours aux quatre coins du ring ? Pas évident, de manier un lourd marteau pour ciseler comme au Quai des bien nommés Orfèvres, et ainsi vaincre d’invisibles cordes. C’est tout ça la théorie des cordes. Indispensable rudiments afin de percer le mur de Planck.
L’objet s’applique aussi aux théories des policiers, qui voudraient que l’on suive une hypothétique ficelle, afin de remonter à l’origine de la pelote. Mais il manque toujours quelques centimètres pour que tout concorde. C’est un peu cela la théorie des cordes.
Et ainsi naît la dis-corde.
En cliquant sur la dimension temporelle, pour comprendrez aisément qu’il vous reste à créer cet article, ô vous, le quantique des quantiques. Du Parnasse
moréassien.
« ils fleurissent aux quatre coins de la capitale pour former peu à peu une étrange figure : un hexagone. »
Sic.
Licence poétique 😉
😉
Mais je me demande bien où elle est allée dénicher cet ancien policier qui serait, parait-il, « guichetier du Monde » (et non au Monde) !
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Pourquoi vous le demandez-vous, Georges ?
…
En l’attente de votre prompte autant qu’excellente réponse, je souhaite bons vents et belle traversée pour ce premier Roman à C.R. Et longue vie aux éditions Alpha à Omega.
Cordialement vôtre,
Yankee-Lima-Mike (yenti le Magnifique)
ps : j’ai bien aimé aussi l’alias de Hyéneux le sectaire (lol)
Je suis un peu occupé en ce moment. Je vous retrouverai plus tard. Merci d’apprécier le beau surnom que je vous ai offert. J’espère que nous retrouverons notre précédent antagoniste car les oursins et les châtaignes sont préférables pour animer les blogs que le miel et le sirop. Mais j’avoue que je devrai me forcer.