Le 30 octobre 1979, au petit matin, dans un brouillard à couper au couteau, plusieurs véhicules de la PJ de Versailles brinqueballent sur un chemin de la forêt de Rambouillet. Une quinzaine d’enquêteurs de la Criminelle et de l’Identité judiciaire, dirigés par les commissaires Alain Tourre et Gilles Leclair, sont à la recherche d’une Peugeot 305 de couleur bleue : la voiture d’une haute personnalité qui aurait manifesté l’intention de mettre fin à ses jours. Ils ne savent pas encore qu’il s’agit de Robert Boulin. Ils ne savent pas encore qu’il est mort.
Ils ne sont pas seuls. De nombreux gendarmes quadrillent déjà la forêt. C’est le préfet qui a donné l’alerte. À 8 h 35, des motards de la gendarmerie repèrent le véhicule stationné à proximité d’un petit lac. Tout le monde fait route vers l’endroit indiqué : la Peugeot se trouve près de l’étang Rompu, dans lequel, à 7 mètres de la berge, un corps dont seul le dos est apparent flotte entre deux eaux.
C’est ainsi, pour la PJ, que commence l’affaire Boulin.
Danielle Thiéry et Alain Tourre, deux anciens commissaires de police ont rassemblé leurs souvenirs pour écrire un livre, Police judiciaire, 100 ans avec la Crim’ de Versailles, aux éditions Jacob-Duvernet. Apportent-t-ils des éléments nouveaux ? Pas vraiment, mais en tout cas, ils donnent le fil précis de l’enquête de police.
Robert Boulin a 59 ans. Il est maire de Libourne, en Gironde, et ministre du Travail dans le gouvernement de Raymond Barre. Il est marié, deux enfants, et mène une vie sans histoire – si ce n’est cette affaire « des terrains de Ramatuelle » qui le mine, une escroquerie dans laquelle il s’est laissé embarquer et qui fait l’objet d’une information judiciaire.
Alain Tourre, lui, est bien loin de ce monde. Il est le chef du groupe criminel (on ne disait pas brigade, pour ne pas fâcher la PP) du Service régional de police judiciaire de Versailles.
« Je sais ce que j’ai à faire ! » – C’est ce que répond le colonel de gendarmerie Jean Pépin au commissaire qui lui demande de ne toucher à rien avant l’arrivée des magistrats. Et l’officier supérieur ordonne de sortir le corps de l’eau. Ce que font deux pompiers. Non sans difficultés, ils le prennent chacun par un bras et le tirent jusqu’à la terre ferme, face contre terre. Les gendarmes retournent le cadavre, et, après un bref examen, ils lui font les poches. Il est 9 h 09. Ils en retirent notamment une petite boîte en plastique, genre boîte à pilules et deux stylos. « Du côté de la voiture, l’agitation est tout aussi intense. » Un officier de gendarmerie grimpe sur le toit et passe la main par le toit ouvrant pour récupérer un bristol posé sur le tableau de bord. Puis, toujours par le toit, l’une des portières est débloquée. Les clés du véhicule seront retrouvées par terre, près du coffre, un peu plus tard. La Peugeot est fouillée de fond en comble. C’est alors que tombe le message radio : le parquet saisit la PJ.
« Gendarmes, trois pas en arrière, la police judiciaire est saisie ! » – Non sans ressentiment, les gendarmes plient bagage, laissant tout en plan. Une scène de crime en piteux état. On comprend bien à la lecture de ce livre-document la guéguerre que se livrent policiers et gendarmes. Il faut dire qu’à l’époque, notamment dans les Yvelines, ces derniers étaient sérieusement marqués à la culotte par la PJ qui voyait d’un sale œil leur influence grandissante en Ile-de-France. Et, pour avoir traîné mes guêtres dans ce service dans ces années-là, je peux témoigner qu’il s’agissait d’une politique maison : pas un os à ronger aux gendarmes. D’où l’ambiance. Aujourd’hui, même si la rivalité demeure, les choses ont changé. Et, en tout cas, chacun sait que dans une enquête, la priorité, c’est de préserver la scène de crime aussi pure que possible.
La carte de visite grand format récupérée sur le tableau de bord est à l’en-tête du Ministère du travail avec la mention « Le Ministre ». Elle est écrite des deux côtés. Au recto, d’une écriture soignée, à l’encre bleue, « Les clefs de la voiture sont dans la poche de mon pantalon ». Sous ces mots, à l’encre noire, est indiqué « TSVP ». Au verso, également à l’encre noire, mais cette fois d’une écriture irrégulière, « Embrassez éperdument ma femme, le seul grand amour de ma vie. Courage pour les enfants », suivi d’une signature illisible.
Au premier examen du corps, des traces d’érosion sont relevées sur le visage ; et quatre petites coupures, deux sur le nez, une en dessous et une autre sur la lèvre supérieure. Un médecin local constate le décès et la dépouille est transportée par hélicoptère à l’hôpital de la Pitié. Plus tard, vers l’Institut médico-légal de Paris. Beaucoup de monde pour l’autopsie : les deux légistes, le substitut de procureur, cinq péjistes, dont le commissaire Tourre, et le chef de cabinet de feu le ministre, Marcel Cats. Celui-ci intervient à plusieurs reprises, au nom de la famille, dit-il, pour tenter d’éviter au mieux la mutilation du corps. Il insiste tant que les médecins finissent par se fâcher et le mettent à la porte. Ils concluent sans ambiguïté à la mort par noyade (asphyxie par submersion). Des prélèvements sont effectués. Le suicide ne faisant aucun doute, le magistrat présent sur place, le substitut Leimbacher, prend l’initiative de ne pas faire pratiquer l’examen de la boîte crânienne. Une opération qui consiste à « décalotter » le haut du crâne et qui laisse des marques sur le visage du défunt.
C’était sans doute une première erreur. La seconde est plus grave. L’eau dans les poumons et dans l’estomac était une preuve suffisante pour conclure à la noyade et, du coup, aucune analyse ultérieure n’a été effectuée. Pourtant, elles auraient permis de confirmer la mort par noyade, mais surtout de démontrer que l’immersion avait bien eu lieu dans l’étang Rompu. Donc, que le corps n’avait pas été transporté après coup dans la forêt de Rambouillet.
En 1983, lorsque la famille a réclamé cet examen, il était trop tard : les prélèvements avaient été détruits. Ce qui était l’usage à l’époque. Lors de la deuxième autopsie, les experts ont opté pour un traumatisme facial « appuyé » avant la mort. Pour ceux qui pensent que Boulin a été assassiné, c’est la preuve qu’il a reçu des coups. Pour les enquêteurs, cela signifie seulement qu’il a chuté. Ils pensent que Boulin est descendu de sa voiture. Il l’a fermée, puis, la clé toujours à la main, bourré de Valium, il tombe et perd son trousseau. Il n’a donc pu le mettre dans sa poche comme il l’avait écrit. Il se dirige vers l’étang. Il marche dans l’eau. Il tombe de nouveau et il se noie.
Quant aux lividités cadavériques, situées dans le dos, alors qu’elles auraient dû se trouver côté ventre, elles s’expliqueraient par un séjour de plusieurs heures du corps dans une eau à environ 10°. Il est probable que dans ces conditions particulières, les lividités, non encore fixées, ont pu migrer lors de la manipulation du cadavre. Personnellement, je pensais que le mort avait été déshabillé sur place… Il semble que non. Sans doute en raison de la personnalité du défunt. Il est donc probable que le premier examen clinique complet ait été effectué à l’hôpital de la Pitié. Donc, trop tard : le sang étant alors figé dans les parties basses, c’est-à-dire dans le dos.
Ensuite, les deux commissaires retracent avec minutie l’emploi du temps des derniers jours de vie de Robert Boulin. Parmi les documents retrouvés, il y a un brouillon d’une lettre adressée au directeur du Monde, Jacques Fauvet, suite à un article de James Sarrazin sur l’affaire de Ramatuelle, ainsi qu’une autre pour le juge Renaud Van Ruymbeke, en charge de ce dossier. Dans un courrier reçu plus tard par l’AFP, le ministre fustige ce magistrat « aveuglé par sa passion de faire un carton sur un ministre » et il termine en disant : « Un ministre en exercice ne peut être soupçonné, encore moins un ancien ministre du général de Gaulle. Je préfère la mort à la suspicion… » – Une autre époque.
Dans le livre, j’ai choisi cette affaire car elle a fait couler de l’encre, et, lorsque j’en ai parlé sur ce blog, j’ai pu constater que beaucoup de gens considèrent la mort de Robert Boulin comme un assassinat politique. L’éditeur a d’ailleurs fait la couverture sur son cadavre. Mais le livre contient bien d’autres choses. Ainsi, il est longuement question de l’affaire Stevan Markovic, l’homme à tout faire d’Alain Delon, exécuté d’une balle dans la tête. Mais il aura fallu deux autopsies pour le révéler. Le dossier de police a longtemps été tenu secret. C’est je crois la première fois qu’il est ouvert (entrouvert ?) au public. En fait, ce livre est une mine d’informations sur de nombreuses affaires criminelles : l’assassinat du général Audran, la disparition d’Estelle Mouzin, etc. Ou la première arrestation de Jacques Mesrine, avant qu’il ne devienne l’ennemi public n°1 ; ou encore celle de son émule, Jacques Hyver, que tout le monde recherche et que les policiers de l’Office du banditisme voient passer devant eux alors qu’ils sont en train de décompresser à la terrasse d’un café.
Pour être sincère, je trouve le texte un peu fouillis, comme souvent chez cet éditeur, et, sans doute parce qu’il est écrit à quatre mains, on est un peu gêné pour Alain Tourre lorsqu’il parle de lui à la troisième personne. Cependant, ceux qui s’intéressent aux affaires criminelles ne seront pas déçus. Il y a matière. Et puis, ça nous change du 36.
11 réponses à “Le chef de la Crim’ raconte l’affaire Boulin dans un livre”
Il aurait fallu laisser l’enquête à la gendarmerie… qui n’était pas si hostile envers la police, mais ça faisait plusieurs fois qu’une enquête était enlevée à la gendarmerie de Versailles, notamment pour Mesrine .. On ne dit pas à un Colonel « ne touchez a rien… »
oui c’est la version officielle de l’affaire Boulin les policiers qui ont fait les constatations n’ont pas si mal travaillé. Par exemple ils ont retrouvé un dossier vide avec écrit ne pas ouvrir sans mon autorisation à coté de la voiture de même que des mégots de cigarette dans la voiture boulin ne fumant pas, la partie arrière « rafistolée » de la voiture avait également un aspect peu compatible avec la voiture d’un ministre en exercice sur laquelle aucun accident n’avait été signalé
Votre compte rendu sous estime toutefois les blessures de Boulin visibles sur les photos qui sont aujourd’hui connues de tous où il a un visage de boxeur les blessures au poignet en particulier indiquant qu’il a été attaché; vous nous reservez la théorie fantaisiste des lividités cadavérique mouvantes qui déroge aux lois de la physique et de la biologie mais c’est pour la bonne cause.
vous présentez l’examen qui n’a pas eu lieu des poumons de manière orientée comme si à coup sûr on allait trouver de l’eau de l’étang. Heureusement que vous n’avez pas fait l’enquête qui aurait été manifestement orientée. Paradoxalement vous parlez de scène de crime. Ce qui n’est guère compatible avec un suicide. On peut regretter en tout cas que les bocaux aient été volés et que les demandes d’investigation de la famille aient été rejetées.
enfin s’agissant des lettres qui ne sont que des photocopies on peut relever des maladresses de la part de son ou de ses auteurs en dehors de celles relevées dans les livres écrits à ce sujet: le père de renaud van ruymbeck était un ami de Boulin. Le ton impersonnel et haineux de la phrase que vous citez ne colle pas avec sa connaissance de ce juge qui ne l’a jamais inculpé de quoi que ce soit d’ailleurs
quand on veut étouffer une affaire, on ne revient pas dessus en défendant des positions qui ne tiennent pas la route c’est contre productif on n’en parle plus point
Rien à faire pour que l’AFFAIRE BOULIN quitte l’actualité. La nomination du directeur de cabinet du nouveau ministre de l’intérieur manuel Valls l’illustre à merveille :
http://blogs.mediapart.fr/blog/casanier/260512/affaire-boulin-le-nouveau-dircab-de-manuel-valls-implique
« Et, pour avoir traîné mes guêtres dans ce service dans ces années-là, je peux témoigner qu’il s’agissait d’une politique maison : pas un os à ronger aux gendarmes. D’où l’ambiance. »
Pour avoir servi en antenne entre 1973 et 1984, je confirme totalement. Je me souviens que la dichotomie « zone police – zone gendarmerie » (ou même « zone étatisée – zone non étatisée ») n’avait pas doit de cité à la PJ Versailles pour certaines affaires.
Si cela a changé par la suite, comme j’ai pu le remarquer entre 1995 et 2006, à Versailles, dans les divisions centrales puis dans les offices centraux, peuplés de nombreux anciens versaillais, c’est un peu (beaucoup ?!) par obligation.
Doudou@
Les « usagers » espèrent que « l’obligation » s’est transformée en meilleure efficacité ….car seul leur importe le « résultat »…
Mais, il est vrai que dans bien des situations, la concurrence, peut amener aussi à se motiver …
Moi, je trouve que ce qui a changé, c’est que les nouvelles générations sont plus aptes à reconnaitre qu’elles ont pu se tromper, qu’elles ont pu faillir, car ce ne sont que des Hommes . Elles ont donc plus de chance de s’améliorer…et c’est aussi très important pour des parents blessés…
Mon seul souvenir de cette affaire est tout de même la précipitation de tous pour que les obsèques aient lieu le plus rapidement possible Préfet en tête, et ce TG rèdigè par l’Officier de Paix du commissiassriat de Neuilly ou résidait le Ministre » A l’occasion de la levèe du corps de M Boulin, je sollicite la mise à disposition d’une grue des services techniques de la Préfecture de Police ». Il avait raison l’affaire ètait très très lourde, on en parle encore…….
« L’affaire Boulin», comme de nombreux drames, excite les fantasmes et amène de nombreuses hypothèses, de nombreux témoignages
Les familles ne peuvent pas croire facilement à un suicide, dans la grande majorité …d’autant que la personnalité est proche de « secrets d’état »…
Dans notre chemin, nous avions trouvé du travail à un charmant garçon qui avait « fauté »… Pendant 2 ans il avait été parfait, puis ses démons et ennuis revenants, il avait disparu…
Les médias en parlèrent 3 fois: il avait ouvert une galerie de tableaux avec l’un des fils d’un comte célèbre, il s’était fait cueillir enjambant un mur d’un château richement pourvu d’œuvres d’art…puis, il confia que ce n’était qu’à l’initiative de tiers… pour trouver des documents sur l’affaire Boulin…
J’espère qu’il va bien, car il était très gentil…mais, les espérances qu’il a fait naitre et qu’en a déduit la famille sont surement encore douloureuses, car je ne pense pas que cette hypothèse se soit concrétisée …
Courage à toute la famille de Robert Boulin à qui je souhaite d’arriver à trouver une certitude, courage
Comment pouvons nous encore faire confiance à la police surtout lorsqu’un de ses membres va gagner du fric en publiant leurs turpitudes ?
@PHE
Avez vous la preuve:
* que des turpitudes sont publiées?
* que l’opération d’écrire ses mémoires, qui peuvent être interessantes, est financièrement rentable?
Pour répondre à la première question, il vous « suffit » de lire le livre que vous critiquez, ce que vous avez fait, n’est ce pas?
La seconde question découle trivialement d’un simple calcul comptable, basé sur une estimation du nombre de ventes du livre….
Avec un peu de méthode, vous arriverez,
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** enfin **
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à être convaincant.
Et au fait, en 1978, la police et la gendarmerie étaient séparées. C’est pour ça que l’imputation de turpitudes à la police, dans ce cas, demande un grand talent dont vous ne manquerez pas de faire profiter les lecteurs de vos commentaires…..
PHE, vous êtes un mystère à vous tout seul (D’ici à en écrire un livre, il ne faut pas exagérer) mais votre profond dégout de la Police française est en fait devenu une réelle passion, preuve en est que vous êtes le premier à vous exprimer sur ce sujet.
D’ailleurs aucun post de notre valeureux Commissaire ne vous échappe. Je pense que si la Police venait à disparaitre, vous disparaitriez avec elle.
Vous devriez songer à passer le concours de Commissaire de Police.
Bonjour PHE. Je passerai sur votre commentaire. Rey y a répondu. Un peu durement, certes ; mais c’est une réponse. Zébulon a fait dans le soft-rigolo.
Néanmoins, quelques questions me titillent :
Si tout un chacun reconnaissait les torts que vous attribuez à la police nationale, cela vous aiderait-il ? Cela changerait-il votre manière de voir et de penser ? Cesseriez-vous de déverser votre « haine », votre « rancoeur », votre amertume, sur ce blog ou un autre ?
Vous avez, je crois, saisi les instances aptes à reconnaître les torts de chacun. Tentez de devenir à tout le moins un peu « sage », puisqu’ici, personne ne peut rien pour vous. Et vous voyez bien que vos commentaires agacent et vous font percevoir comme un trublion de bas étage ; ce qui me semble-t-il est bien loin des jugements qu’on pourrait porter positivement sur vous.
Je suis certaine que vous valez bien mieux que ce que vous laissez paraître de vous dans vos commentaires. D’ailleurs, il vous est déjà arrivé d’être très censé, avant de dévier de nouveau sur ce qui pourrait relever du pathos.
La haine est effectivement un moteur. Mais c’est un moteur qui tombe régulièrement en panne. L’histoire l’a prouvé. Je ne peux tout de même pas vous enjoindre d’aller voir un mécano.
Mais faites un effort bon sang ! Cessez d’être dans la réaction au lieu de vous acharner sur ce pauv’ commissaire honoraire ! D’ailleurs, je m’en vas lui demander : « Hey Djorge, t’y es pour kekchoz dans les affres de PHE ? ».
…
Ha ! vous voyez bien PHE. IL se tait l’écrivain du net ! Et puis, prenez des mesures : les commentateurs sont parvenus à virer Untel à l’Etoile. Vous ne changerez rien à l’histoire. Mais si vous faites un pas de côté, vous pourrez la considérer sous un angle différent ; vous vous en éloignerez. Alors, l’histoire vous regardera et ne vous prendra plus dans ses filets.
Bon, vous avez lu combien de page de ce livre brouillon ?