LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Auteur/autrice : G.Moréas (Page 29 of 82)

Proxénétisme à Lille : des policiers de nouveau sur la sellette

Après les événements qui ont mis KO la PJ de Lyon, les policiers se seraient bien passés de ce coup de projecteur sur les petits arrangements lillois. Une drôle d’affaire que cette histoire de proxénétisme hôtelier, avec des ingrédients qui nous rappellent l’affaire DSK et celle qui vise le commissaire Neyret : le sexe, le fric, les mystères des grands hôtels, les indics… et des policiers qui ont perdu leur marque.

Mais quel intérêt pour le ou les responsables d’un établissement de grand luxe de fricoter avec des proxénètes et des prostituées ? Juste pour satisfaire le client… au risque de se faire prendre la main dans le sac ? Pour gagner de l’argent ? Peut-être un peu les deux, mais le plus important, sans doute, c’est l’impression d’être au centre d’un réseau occulte dans lequel se côtoient des personnalités de la finance, de la politique, etc. Avec aussi cette petite décharge d’adrénaline qui met du piment dans la vie. Car tout le monde sait bien que l’on est de plain-pied dans l’illégalité. Un business certes illégal en France, mais plus ou moins toléré en Belgique. Comme le dit Dominique Alderweireld, alias « Dodo la Saumure », dans Le Courrier de Mouscron, il existe entre 1500 et 2500 maisons closes sur le territoire belge. Ce monsieur sait de quoi il parle, puisqu’il détiendrait plusieurs « bordels ». Il a été arrêté par la police de Courtrai (Belgique) dans une affaire distincte, mais probablement liée à celle du Carlton de Lille. Et pour ceux qui s’interrogent sur l’origine de son surnom, on peut imaginer certains poissons immergés dans un bain saumâtre, comme le hareng ou le maquereau – ce n’est qu’un avis. Cette affaire n’aurait pas pu avoir lieu en Espagne, où les « proxénètes » sont des hommes d’affaires. Ils ont pignon sur rue. Ainsi, dans la région de Barcelone, un ressortissant français détient même plusieurs établissements de ce genre. « Chacun de ces établissements, écrit-il à un député, est titulaire d’une licence administrative me permettant l’accueil de prostituées et de leurs clients dans les meilleures conditions possibles ».

Mais nous sommes en France, et l’addition risque d’être salée.

Le délit de proxénétisme – Le proxénétisme est le fait d’aider, d’assister ou de protéger la prostitution d’autrui. C’est un délit intentionnel : l’auteur doit avoir connaissance de la finalité de la chose, mais il n’est pas indispensable qu’il en tire un profit. Le simple fait, par exemple, de communiquer les coordonnées d’une prostituée ou celles d’un lieu de prostitution peut être considéré comme une aide à la prostitution. En exagérant à peine, on pourrait même dire que si vous aidez une prostituée à changer la roue de sa voiture, du moins s’il s’agit de son instrument de travail, vous risquez bien des ennuis.

Dans l’ancien code pénal, il suffisait de vivre, même occasionnellement, avec une personne se livrant à la prostitution pour être considéré comme son protecteur. Ce que les flics de la Mondaine appelaient « le julot casse-croûte ». En effet, pour chaque affaire, ils touchaient une prime, et là, c’étaient des dossiers rondement menés… Mais cette disposition pénale revenait à interdire aux prostituées toute vie privée, ce qui était contraire à la Convention européenne qui garantit aux ressortissants des États membre le droit au mariage. Aujourd’hui, la cohabitation est possible à condition que le conjoint ne bénéficie pas du fruit de la prostitution. Autrement dit, il faut qu’il puisse justifier de ressources propres. On peut s’interroger sur la situation de deux prostitué(e)s qui partageraient le même toit…

Hôtelier : un métier à risques – Mais la loi est encore plus sévère en ce qui concerne le proxénétisme, dit hôtelier, puisqu’elle réprime le simple fait de tolérer la prostitution dans un lieu public. Les hôtels, bien sûr, mais aussi les bars, restaurants, lieux de spectacle, camping, etc. Il suffit pour le responsable de simplement fermer les yeux sur ces agissements, même sans en tirer un profit direct, et le délit est constitué (dix ans de prison). Et, outre les personnes physiques, l’entreprise peut également être condamnée (une amende qui peut atteindre plusieurs millions d’euros). Les tenanciers doivent donc être particulièrement vigilants, puisqu’ils sont à la fois responsables du comportement de leurs salariés mais aussi de celui de leurs clients… quels qu’ils soient. Ce qui n’est pas facile, car la loi interdit de refuser un client sous prétexte qu’il s’agit d’un prostitué notoire. Cela s’appellerait de la discrimination. Attitude réprimée par cinq ans de prison, comme le souligne l’art. 225-1 du code pénal .

À noter que le proxénétisme contre des mineurs de quinze ans, ou commis en bande organisée, ou en recourant à la torture ou à des actes de barbarie, transforme le délit en infraction criminelle. Et une dizaine de circonstances particulières en font un délit aggravé punissable de dix ans de prison.

Une police déboussolée – Mais que viennent faire des policiers dans cette soupe lilloise ? On entre là dans le petit jeu du donnant-donnant. Les hôteliers, surtout dans les établissements prestigieux, sont une précieuse source de renseignements pour les services de police. Pas tellement pour la PJ, mais plutôt pour les policiers chargés de « l’information générale ». Autrefois, cette mission était confiée aux RG, sous la houlette du préfet de département. Mais depuis la création de la DCRI, en 2008, c’est la sécurité publique qui est en charge, via les services départementaux de l’information générale (SDIG), lesquels sont rattachés aux directions départementales de sécurité publique. Or, même si ces services ont des comptes à rendre aux préfets, ils sont en prise directe avec la place Beauvau (la suppression des RG est une image forte de la centralisation). Et là comme ailleurs, la pression se fait sentir : il faut des résultats. Les policiers doivent donc se démener pour obtenir des infos, et pour cela, il leur faut des informateurs. Car ici, il ne s’agit pas d’indics, du truand qui balance, mais de gens de tous milieux dont la motivation correspond parfois à un simple geste civique.

À la différence de l’affaire de Lyon, cette fois, c’est la PJ qui mène l’enquête, avec le concours de l’inspection générale de la police nationale (IGPN), puisque des policiers semblent impliqués. Et si ceux-ci ont participé d’une manière ou d’une autre à des comédies sexuelles, ils risquent fort d’être pris dans l’engrenage de la justice. Même s’ils ont agi dans l’intérêt du service. Même s’ils n’ont pas mis un sou dans leur poche. Ils sont dans la même situation que s’ils avaient prélevé un kilo de cocaïne pour en saisir cent. C’est du kif, si j’ose dire.

Et, puisqu’on en parle… Si le débat est ouvert pour la dépénalisation du cannabis, il n’en est pas de même en matière de prostitution. À gauche comme à droite, les positions se rejoignent. Jusqu’à la pénalisation du client. Chantier mis en œuvre par le gouvernement actuel. D’après le site de Terra Nova Débats 2012, Martine Aubry, lorsqu’elle était ministre de l’Emploi et de la Solidarité, avait même dénoncé une réglementation qui différenciait la prostitution exercée librement de la prostitution forcée.

Mais la controverse entre les abolitionnistes et les réglementaristes semble aujourd’hui derrière nous : on s’achemine vers une interdiction totale. Je n’ai pas d’opinion, je ne suis pas client.

La PJ de Lyon face à des juges tout-puissants

L’arrestation du commissaire Michel Neyret et de plusieurs de ses collaborateurs attire l’attention sur les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS). Ces magistrats, chargés de lutter contre la criminalité organisée, bénéficient de pouvoirs hors du commun. Ce que l’on appelle les procédures dérogatoires. Aussi, aujourd’hui, beaucoup de policiers s’interrogent : pourquoi de tels moyens pour enquêter sur leurs collègues ? Pourquoi des Parisiens pour enquêter sur des Lyonnais ? Et que se serait-il passé, si des pontes du quai des Orfèvres avaient été arrêtés par des policiers de province sur des faits qui se seraient déroulés en région parisienne ?

La guerre des polices serait-elle rouverte ? Non ! Mais il y a quelques jours, le représentant d’un syndicat de la magistrature, interviewé sur une radio, a dit que, désormais, les magistrats se doivent de prendre leurs distances avec les policiers : la confiance, c’est fini. Presque une déclaration de guerre. Au minimum une reprise en main nettement affichée, avec peut-être en toile de fond l’idée sans cesse remâchée de rattacher la police judiciaire à la justice.

Les JIRS ont été mises en place en octobre 2004. Il en existe huit (Paris, Lyon, Marseille, Lille, Rennes, Bordeaux, Nancy et Fort-de-France). Elles sont compétentes pour traiter les enquêtes concernant la criminalité organisée (art. 706-73 du CPP) et la délinquance financière (art. 704 du CPP) ou celles qui présentent une complexité particulière. Ces juridictions regroupent des magistrats du parquet et de l’instruction spécialement habilités et font appel à des assistants spécialisés (douanes, impôts, santé…). Ces magistrats peuvent autoriser des policiers ou des gendarmes à commettre des actes qui, sans leur accord formel, seraient considérés comme tombant sous le coup de la loi. Le fait de pénétrer en douce à l’intérieur d’un domicile, sur un lieu de travail ou dans une voiture pour y installer un mouchard, par exemple. Ou d’autoriser l’infiltration d’un milieu délinquant, quitte à commettre, si nécessaire, des actions « ordinairement » délictueuses. Ces juridictions utilisent les nouvelles technologies. Elles sont dotées de logiciels spécifiques et disposent de moyens de vidéoconférences pour effectuer des auditions à distance ou procéder à des prolongations de garde à vue. À la pointe de la technologie, leurs procédés sont à l’opposé de la pêche aux renseignements telle qu’elle est pratiquée de manière ancestrale en PJ : le PV qu’on fait sauter, le pastaga au bar du coin, etc. D’après Pascal Guichard, vice-président chargé de l’instruction à la JIRS de Marseille : « La JIRS n’a pas vocation à être connue du grand public puisqu’elle s’intéresse quand même à un secteur d’activité très spécialisé qui est la criminalité organisée ».

Avec l’affaire Neyret, c’est loupé.

On nous dit que le commissaire a été balancé par des voyous à l’issue d’une affaire de trafic de cocaïne. Il appartenait donc au procureur de la JIRS, au vu des confidences qui visaient un policier en activité, de décider de la suite à donner. Puisque tous les faits se déroulaient hors de sa zone territoriale, la marche normale aurait été de saisir l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), qui a compétence nationale, ou de transmettre le dossier à son homologue lyonnais. Il ne l’a pas fait.

L’enquête a été effectuée par l’Inspection générale des services (IGS), compétente sur le ressort de la préfecture de police de Paris. Il s’agit probablement d’une première. Michel Neyret a donc été mis en examen par des juges parisiens pour association de malfaiteurs, trafic de stupéfiants, corruption, trafic d’influence, détournement de biens et violation du secret professionnel. Autant ratisser large !

Au fait, qu’est-ce qui justifie « l’association de malfaiteurs » ? Le commissaire est-il un redoutable chef de bande ou a-t-on voulu lui appliquer à tout prix une procédure exceptionnelle ?

L’association de malfaiteurs est un délit en soi. Mais elle ramène à la bande organisée qui, elle, est une circonstance aggravante justifiant les procédures d’exception. Il faut bien dire que, insidieusement, ces procédures dérogatoires prennent de plus en plus le pas sur le droit commun, donnant aux enquêteurs des pouvoirs qui, dans un passé récent, étaient réservés à la lutte contre le terrorisme. Au détriment des libertés individuelles .

Toutefois, le Conseil constitutionnel n’a pas censuré le législateur français sur ce point. Dans une décision de mars 2004, il a quand même remis les pendules à l’heure. Précisant que les procédures dérogatoires ne peuvent se justifier que s’il existe « des éléments de gravité suffisants », et que, dans le cas contraire, il s’agirait d’une « rigueur non nécessaire au sens de l’article 9 de la Déclaration de 1789 ». Des notions bien subjectives ! Le Conseil a finalement conclu, tel Ponce Pilate, qu’il appartient à l’autorité judiciaire d’apprécier. Ce qui n’a pas empêché, en novembre 2007, le vote d’un nouveau texte qui vise la lutte contre la corruption et le trafic d’influence, et qui donne aux juges pratiquement les mêmes pouvoirs que pour lutter contre la grande criminalité ; infiltration, écoutes, sonorisation…

Qu’est-ce qui attend Michel Neyret ? Personne ne le sait. Pourtant, même si aucune affaire n’est semblable, on peut rappeler l’histoire du brigadier Gilles Ganzenmuller. En avril 2005, il est arrêté par l’IGPN (les JIRS n’étaient pas encore tout à fait opérationnelles). On lui reproche d’être un ripou et d’avoir monnayé des informations. À l’époque, il est affecté à l’OCRB (office central pour la répression du banditisme) où il est chargé d’infiltrer le milieu du 93. Il dispose d’une grande autonomie : voiture de fonction, ordinateur et téléphone portables professionnels. Et peu à peu, grâce à un indic, il est parvenu à gagner la confiance des frères Hornec, alias les « H » – comme on parlait autrefois des « Z », pour désigner les frères Zemour. Le genre de clients que tous les policiers rêvent « de se faire en flag ». Il est mis en examen pour association de malfaiteurs, corruption, escroquerie en bande organisée (un délit tout neuf en 2005 : dix ans de prison). Il se défend comme un beau diable. S’il a fourni des renseignements, c’est pour mieux en obtenir. Et toujours avec l’accord de sa hiérarchie. Rien n’y fait. Les écoutes téléphoniques semblent l’accabler, alors que, comme c’est souvent le cas, leur transcription sur le papier donne lieu à interprétation. Lorsque, par exemple, son indic lui propose un cadeau et qu’il répond : « Ce n’est pas ça que je veux… » Le rédacteur mentionne entre parenthèses, « Il veut de l’argent », sans penser que le flic attend autre chose : des tuyaux. Quatre mois de préventive. À sa sortie de prison, il est révoqué. Il se retrouve sans le sou, avec sa femme et ses deux enfants. Et interdiction de parler à ses anciens collègues. Un commissaire fait même afficher sa photo à l’entrée du service, pour ne pas qu’on le laisse entrer. De quoi se flinguer ! Il fait appel de sa révocation devant le tribunal administratif qui ordonne sa réintégration. Mais deux ans plus tard, la Cour d’appel annule cette décision. Et aujourd’hui, l’administration lui demande de rembourser ses deux années de salaires… Normal, me direz-vous, s’il est coupable. Mais en février 2011, il a enfin été jugé – c’est-à-dire six ans après les faits. Le procureur a émis des réserves sur l’enquête, et le tribunal a suivi, ne retenant aucun des éléments de l’instruction. Il a toutefois estimé que Gilles Ganzenmuller avait violé le secret professionnel : trois mois de prison avec sursis.

Tout ça pour ça.

Le commissaire Neyret sur un fil

« C’est comme un coup poing dans la gueule ! » m’a dit un policier de PJ. Et je le comprends bien. Raison pour laquelle j’ai tant de mal à écrire ce billet. Michel Neyret fait sans doute partie du dernier quarteron de flics à l’ancienne. De ceux qui ont encore la connaissance du « milieu ». Qui sont capables, non pas de réciter l’état-civil d’un voyou en tapotant le clavier d’un ordinateur, mais de vous raconter sa vie, ses habitudes, ses relations, ses maîtresses, avec des anecdotes et des péripéties ; ce genre de détails qu’on trouve généralement dans les polars. Et cela nécessite de côtoyer les voyous.

Ce n’est pas sans risque. Pas mal de poulets y ont laissé des plumes. J’ai l’impression que lui, il vivait son métier comme un film. Soyons clair ! Pour être efficace, le flic doit non seulement mouiller sa chemise, mais se mouiller tout court. Je ne sais pas jusqu’où Michel Neyret est allé, mais il semble bien qu’il se soit trop approché de la flamme…

L’histoire se répète. Il existait, il y a quelques dizaines d’années, des « groupes de pénétration ». Des policiers qui laissaient leur plaque au vestiaire et menaient la vie d’un truand, pour mieux s’infiltrer dans le milieu. Un exercice dangereux à bien des égards qui nécessite à la fois des nerfs solides et un encadrement serré : des chefs capables de bien baliser le terrain. Vers le milieu des années 60, à la suite de plusieurs dérapages, la police parisienne décide de changer radicalement son fusil d’épaule : on ne pénètre plus le milieu, mais on le surveille de l’extérieur. C’est ainsi que le commissaire Le Mouel créé la brigade de recherche et d’intervention (BRI) : la première brigade antigang. Grosso modo, sa mission se résume en des écoutes téléphoniques, de la documentation, des planques et des filoches. Mais l’une des premières interventions en flag se termine par une fusillade sur la voie publique. On m’a même raconté que le landau d’un bébé avait été traversé par une balle perdue. Je ne sais pas si c’est vrai, en tout cas, pour éviter les bavures, François Le Mouel décide d’intervenir avant que les braqueurs ne passent à l’action. Cette fois, c’est la justice qui a du mal à suivre, ne retenant pas la tentative de vol qualifié et limitant la répression à des délits annexes. Ce qui conduit à une nouvelle méthode d’intervention : l’opération retour. Autrement dit, on laisse les braqueurs faire le coup et on les interpelle plus tard, lorsqu’ils ne sont plus sous pression. Avec le butin. Une technique efficace, mais un peu en forme de renoncement, car elle fait prendre des risques aux victimes de l’agression ou du braquage. Néanmoins, elle est encore utilisée de nos jours. Si vous lisez dans la presse que des policiers ont pris en chasse des truands dont l’allure ou la voiture leur a paru suspecte, il y a de fortes chances qu’il s’agisse d’une opération retour qui a foiré. Autrement dit, les flics se sont fait détroncher.

Donc, plus d’infiltration dans le milieu et plus d’indicateurs, en raison de l’impossibilité de leur promettre l’impunité ou de les rétribuer. Sauf en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, où la monnaie d’échange est toute trouvée : on prélève une petite partie de la saisie. Pas très moral, on en convient. Un système qui a néanmoins fait ses preuves dans les services opérationnels de la douane. Il faut savoir qu’en général, sur instruction du procureur ou du juge d’instruction, la drogue saisie est incinérée. Mais, même si un procès-verbal de destruction est rédigé, il est assez facile de tricher. Et qu’on ne me dise pas que personne ne le sait, puisque ces dernières années, à petites touches, le législateur a tenté de régulariser la situation des indics. L’article 706-81 et 82 du nouveau code de procédure pénale a même remis à l’ordre du jour l’infiltration des policiers au sein des « bandes organisées ». Ils sont autorisés à se faire passer auprès des suspects pour des « coauteurs, complices ou receleurs ». Ils peuvent, sans être pénalement responsables « acquérir, détenir, transporter, livrer ou délivrer des substances, biens, produits, documents ou informations tirés de la commission des infractions ou servant à la commission des infractions ». Ils peuvent également mettre à la disposition des voyous des moyens de transport, d’hébergement, etc. Tout cela, bien sûr, en suivant un certain protocole. Mais, ces nouvelles dispositions légales ne sont-elles pas la porte ouverte aux abus ? Et si des policiers tombent sur des policiers infiltrés, comment ne pas penser qu’il s’agit de ripoux ?

Michel Neyret possède un tableau de chasse hors du commun. Aussi, lorsque j’entends qu’un haut responsable du ministère de l’Intérieur l’a traité de « pourri », je suppose que ce monsieur a eu accès à la procédure. Ce qui n’est pas mon cas. On me dit : on lui prêtait de belles voitures, on lui offrait des voyages, etc. Une erreur qu’on ne peut pardonner ni à un policier ni à un ministre. Mais je n’ai pas souvenir que l’ancienne garde des Sceaux ait fait l’objet de poursuites judiciaires… La vraie question est de savoir s’il s’est enrichi en vendant de la drogue ou s’il a accepté des pots-de-vin. Si c’est le cas, c’est un ripou. Il doit payer – et lourdement. Pourtant, pour ce que j’en sais, c’est un homme qui n’avait pas besoin d’argent. Comme on dit, son traitement de commissaire, c’était son argent de poche.

M. Bordenave, dans Le Monde de ce jour, dresse une liste des commissaires qui ont eu maille à partir avec la justice. Elle remonte jusqu’en 1993. Dommage. Quelques années de plus et il aurait pu ajouter le nom du commissaire Yves Jobic, lequel, englué dans un turbin monté par la pègre, s’est retrouvé derrière les barreaux. À l’issue de son procès, le président du tribunal a prononcé le verdict : non coupable.

Tout comme tel ministre ou tel procureur, Michel Neyret s’est sans doute laissé gagner par un sentiment d’impunité. Le pouvoir rend immature. Mais n’en faisons pas un chef de gang. Même s’il a entraîné dans son sillage d’autres policiers et quelques magistrats, il faut savoir si, à défaut d’avoir respecté la règle, il a agi dans l’esprit du nouveau code de procédure pénale ou pour en tirer des avantages personnels.

Des têtes vont tomber – et c’est normal. Au début des années 70, un scandale identique avait secoué la police lyonnaise. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Raymond Marcellin, avait alors complètement démantelé la police judiciaire lyonnaise. Avec une consigne : plus d’indics, plus de d’infiltration dans le milieu. Ce qui avait abouti à la création, quelques années plus tard de la première brigade antigang hors Paris. Brigade que Michel Neyret a dirigée pendant plus de vingt ans. Bien trop longtemps, sans doute. Et aujourd’hui, on inscrit l’infiltration des bandes organisées dans le Code de procédure pénale. C’est une erreur : trop de risques, trop de tentations.

Tristane Banon dans les méandres du droit

Lorsque Mlle Banon accuse M. Strauss-Kahn de tentative de viol pour des faits qui se seraient déroulés en tête à tête il y a de cela huit ans, on comprend bien que les enquêteurs éprouvent des difficultés à faire le tri entre les déclarations forcément contradictoires de l’un et de l’autre. Et la confrontation qui a eu lieu aujourd’hui n’y a probablement rien changé. Dans une affaire de viol ou d’agression sexuelle, s’il n’existe aucun témoin et aucune preuve matérielle, la première difficulté consiste à déterminer l’existence du crime ou du délit. En fait, l’un des moyens les plus parlants consiste souvent à effectuer une reconstitution. Une sorte de pièce de théâtre où l’on replace les deux antagonistes dans la même situation, dans les mêmes conditions et au même endroit, pour mieux faire ressortir les invraisemblances.

Je ne sais pas si c’est envisagé… Comme il s’agit d’une enquête préliminaire, c’est le procureur qui décide. Et, au final, c’est à lui qu’il appartiendra de trancher. Les faits sont-ils exacts ? S’il estime que oui, il lui reste à déterminer la nature de l’infraction. S’agit-il d’une tentative de viol ? Le viol étant caractérisé par un acte de pénétration sexuelle, il faut donc qu’il y ait au minimum un commencement d’exécution dans l’intention d’une pénétration sexuelle, comme le fait d’arracher les vêtements de la victime. Si c’est ce qui ressort de l’enquête, le procureur va saisir un juge d’instruction. Mais s’il apparaît qu’au pire les faits pourraient être assimilés à une agression sexuelle, il ne peut que constater la prescription et abandonner les poursuites. À noter que même s’il le souhaitait (?), DSK lui-même ne pourrait renoncer au bénéfice de la prescription. Enfin, le procureur peut jeter l’éponge ; constater qu’il est impossible à la justice de démontrer l’existence d’un crime ou d’un délit. Et dans ce cas, il va classer le dossier.

Le classement sans suite – A la différence de l’ordonnance de non-lieu prise par un juge d’instruction, il s’agit là d’une décision « d’administration judiciaire » qui n’a pas valeur de chose jugée et n’est pas susceptible d’appel. Une loi de 2004 a cependant admis la possibilité d’un recours devant le supérieur hiérarchique du procureur. Une sorte de recours administratif. Le procureur général peut alors enjoindre à son procureur d’engager des poursuites.

Plainte avec constitution de partie civile – J’ai lu ici ou là que dans le cas où le parquet n’engagerait pas de poursuites, Tristane Banon déposerait une plainte avec constitution de partie civile, ce qui entraînerait de facto l’ouverture d’une information judiciaire. La jurisprudence estime en effet que la recevabilité de la plainte n’est subordonnée ni à la preuve de l’existence de l’infraction ni à celle de l’existence du préjudice allégué. La partie civile n’est donc pas tenue d’avancer une qualification juridique (sauf délit de presse). Cependant, cette plainte suit un long parcours et passe notamment entre les mains du procureur de la République. Lequel doit prendre des réquisitions. Et dans deux cas (pour ce qui nous intéresse), il peut décider qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir une information judiciaire : si les faits ne constituent pas une infraction pénale ou en raison d’un élément qui touche à l’action publique – comme la prescription. On tourne en rond.

Une plainte non recevable – Donc la plainte avec constitution de partie civile ne serait pas recevable si la prescription a été soulevée (le juge peut toutefois passer outre par une ordonnance motivée). Il resterait donc à la jeune femme la possibilité de se tourner vers le juge civil. Aujourd’hui, depuis la loi du 17 juin 2008, l’action en responsabilité civile engagée par la victime d’un « dommage corporel » peut s’effectuer dans un délai de dix ans (vingt ans en cas de tortures ou d’actes de barbarie, ou à la suite de violences ou d’agressions sexuelles contre un mineur). DSK se retrouverait alors dans une situation similaire par bien des points à celle qui est la sienne aux États-Unis : suspect d’être responsable des conséquences d’un acte qu’il n’aurait pas « légalement » commis.

Nous sommes là dans les méandres du droit.

La garde à vue VIP de Thierry Gaubert

On en rigole encore dans les commissariats… En pleine garde à vue, le téléphone portable du suspect sonne : Allô ! C’est Brice… Et de s’interroger pour connaître le type de sonnerie choisie par Thierry Gaubert, l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy… On balance entre La lettre à Élise et La Marseillaise. À moins que ce soit Le jour après la fin du monde ou Mourir demain… Il faut dire que venant de M. Hortefeux, le ministre de l’Intérieur qui a défendu bec et ongles la garde à vue ancienne formule avec mise à nu systématique et vérifications sous la ceinture, la situation ne manque pas de sel.

J’ai cru entendre un policier de la Financière se justifier en disant que rien dans le Code de procédure pénale n’oblige à retirer le téléphone portable d’un gardé à vue. Je dois avouer que j’en suis resté pantois. Reprenons un peu les textes.

Depuis le 1er juin 2011, il existe six cas où l’OPJ peut décider d’une mesure de garde à vue, deux visent à la protection des preuves et des indices et une autre prévoit qu’il s’agit « d’empêcher que la personne ne se concerte avec d’autres personnes susceptibles d’être ses coauteurs ou complices ». Donc, il semble que la moindre des choses pour éviter ce risque soit de confisquer, au moins provisoirement, le téléphone portable de l’intéressé. Ce qui est fait d’ailleurs systématiquement par tous les policiers et gendarmes de France – sauf pour les VIP, apparemment.

C’est d’autant moins compréhensible que, de nos jours, le téléphone portable est souvent un élément clé d’une enquête. Il permet notamment de récupérer le carnet d’adresses et, parfois, de mieux ferrer le suspect en le mettant face à ses contradictions ou à ses mensonges. On pourrait donc penser que les enquêteurs assurent un service minimum pour répondre aux commissions rogatoires du juge Renaud Van Ruymbeke. Ce que je me refuse à croire !

Et s’il s’agissait uniquement de ne pas se montrer discourtois envers un personnage bien en cour, pourquoi l’avoir placé en garde à vue ? C’est donc une mesure facultative, à la seule diligence de l’officier de police judiciaire. Pas de garde à vue, pas de fouille, et on laisse au monsieur son téléphone portable – même si on lui demande, c’est bien la moindre des choses, de l’éteindre, comme au cinéma.

On découvre donc au détour de cette facétie une nouvelle forme de garde à vue qui préserve à la fois la susceptibilité d’un client doré tout en sauvant les apparences d’une justice identique pour tous. Pas terrible comme message.

Il y a quelques mois, un ministre allemand a démissionné car il était accusé de plagiat dans sa thèse de droit public. L’autre jour, François Fillon, le Premier ministre, a tenté une diversion aux « affaires » en suggérant de reculer l’âge de la retraite et de s’aligner sur notre voisin d’Outre-Rhin…

Seulement en matière de retraite ?

Suicides… série noire dans la police

Après le suicide de trois policiers, ce qui porte le nombre à cinq en deux mois, faut-il parler d’une « série noire » comme l’a déclaré Claude Guéant ou d’un véritable burnout policier ? Ces hommes et ces femmes ont-ils craqué à cause de leur métier, victimes du syndrome d’épuisement professionnel, ou en raison de difficultés personnelles ? La réponse n’est pas si simple, tant il est difficile de dissocier les deux. Ce n’est pas une spécificité du métier de policier, mais c’est sans doute plus vrai pour ce job qui vous colle à la peau. Vous êtes flic quand vous êtes en vacances, quand vous allez faire vos courses, et même quand vous allez chercher vos enfants à l’école : « T’as vu, c’est le fils du flic… ». Ce métier est tellement prenant et tellement crampon qu’il se fait souvent au détriment de la famille, de la vie privée, de la vie tout court. Lorsqu’un policier se suicide, il est donc impossible de déterminer les causes réelles de son geste. On ne peut faire le tri entre la vie professionnelle et la vie privée. C’est un amalgame. Il y a la vie tout court. Ou ici la mort. « L’environnement, tant personnel que professionnel, représente une composante fondamentale du phénomène suicidaire », dit la sociologue Frédérique Mezza-Bellet. Il est donc stupide d’affirmer, comme il a été dit dans un communiqué de la Préfecture de Police, que les trois policiers qui viennent de mettre fin à leurs jours ont agi en raison de « difficultés d’ordre conjugal et privé ».

Le burnout, c’est un peu comme une bougie dont la flamme vacille.

Même s’il n’existe aucun chiffre récent, la police est le groupe socioprofessionnel où il y a le plus de gens qui mettent fin à leur jour. Bien loin, il est vrai derrière le monde carcéral, mais il s’agit là de suicides qui répondent à d’autres critères que la vie en société, dite « normale ».

Et ce n’est pas d’aujourd’hui. « L’épidémie de suicides qui endeuille la police depuis peu est spectaculaire », pouvait-on lire dans Le Monde du… 4 avril 1996, dans un article de Véronique Maurus qui titrait sur « La déprime des flics ».  « La source principale du malaise, disait alors Jean-Louis Arajol, le président du Syndicat général de la police, est la dévalorisation progressive du métier de policier. » Il parlait même d’un « complot politique » pour réduire les missions et les effectifs de la police nationale au profit de la gendarmerie et des polices municipales, réputées plus « dociles », des policiers auxiliaires et des sociétés privées de sécurité ».

Prémonitoire, non !…

Depuis, la gendarmerie a été rattachée au ministère de l’Intérieur, les polices municipales sont en pleine extension et il existe un préfet chargé de la sécurité privée qui vient d’ailleurs de sortir des cartons un décret visant à la création d’un « Conseil national des activités privées de sécurité ». Je sais, c’est hors sujet.

Selon certains, il y aurait plus de suicides parmi les policiers du fait que ceux-ci détiennent une arme. On pourrait raisonner a contrario et dire que si les policiers utilisent souvent leur arme (trois sur les cinq derniers) pour mettre fin à leurs jours, c’est tout simplement qu’ils ont une arme sous la main. Mais cela n’a rien à voir avec leurs motivations. Celui qui tous les jours passe sur le même pont va peut-être un jour se jeter dans le fleuve, mais s’il se suicide, ce n’est à cause du pont.

La théorie qui voudrait que les flics d’aujourd’hui, sur-diplômés et sans expérience de la vie, auraient le cuir trop tendre pour affronter ce métier ne repose sur aucun chiffre. C’est une théorie « d’anciens ». Rien ne prépare à ce métier. Tous les flics se souviennent de leur premier contact avec la mort violente. Que ce soit en effectuant les constatations sur la victime d’un meurtre ou face à un forcené qui vous menace d’une pétoire. Mon premier cadavre, c’était une vieille dame ligotée dans sa cuisine. Elle avait été torturée. En la déshabillant, on avait trouvé deux ou trois billets de cent francs, sous sa gaine. Le butin que recherchait le meurtrier. Je m’en souviens comme si c’était hier.

Ce métier, on l’apprend sur le tas. Et ceux qui ne résistent pas s’en vont ou cherchent une planque – ou ils craquent. Dans la préface du livre La parole est aux cadavres (Perrine Rogiez-Thubert, aux éditions Demos), Olivier Marchal écrit : « Je pense à tous ces moments où je n’avais plus envie, où j’en avais assez de patauger dans le sang, la merde, les larmes et le chagrin des familles (…) Être flic, c’est savoir accepter l’inacceptable. Supporter l’insupportable. Moi, je n’ai jamais su. C’est pour ça que j’ai fini par céder. Pour ne pas sombrer avec mes morts… »

Pas mieux.

DSK a-t-il été piégé ?

Que s’est-il réellement passé dans cette chambre d’hôtel du Sofitel ce 14 mai 2011 ? C’est la réponse à cette question que nous attendions de Dominique Strauss-Kahn. Il nous la devait, car d’une certaine manière, il nous a trahis. Nous restons sur notre faim. Personne, bien sûr, ne peut admettre qu’en moins de dix minutes il ait réussi à séduire une femme qu’il ne connaissait pas, au point d’obtenir ses faveurs. Et comme il a affirmé qu’il ne s’agissait pas d’un rapport sexuel rétribué, la question reste entière. La solution se trouverait-elle dans cette petite phrase: « Un complot, non, mais un piège, c’est possible… » ? Il est dommage que cette réflexion n’ait pas fait rebondir Mme Chazal.

Car c’est bien là qu’il faut creuser.

La théorie de la tête sous l’eau – A l’évidence, si DSK n’a ni séduit ni payé Nafissatou Diallo, il ne peut s’agir que d’un « coup » arrangé soit par la direction de l’hôtel soit par des gens qui y travaillent ou qui y ont leurs entrées.  Et l’on comprend mieux alors le comportement de cet employeur qui défend à cor et à cri sa petite salariée immigrée contre un homme tout-puissant. Une situation quand même assez rare dans la vie de tous les jours. En fait, pour sauver la réputation de l’hôtel ou peut-être pour éviter que les policiers new-yorkais ne mettent le nez dans leurs petites affaires (une enquête pour proxénétisme hôtelier serait terrible pour la notoriété du groupe), il fallait protéger Mme Diallo, et pour la protéger, il fallait charger M. Strauss-Kahn.

Évidemment, un simple coup de fil de la direction à Paris ou de l’Élysée aurait pu calmer le jeu. Il n’est pas venu.

Du piège au complot – On peut aussi imaginer que de mystérieux personnages à l’esprit particulièrement tordu aient collé entre les pattes de ce haut personnage à l’appétit insatiable une personne psychologiquement peu solide – ce qui semble bien être le cas de Nafissatou Diallo. Et celle-ci n’a peut-être pas compris ce que l’on attendait d’elle. D’où sa réaction.

On peut y voir aussi un véritable complot politique pour déboulonner un homme qui avait la faveur des Français. Mais personne n’y croit vraiment. En revanche, l’hypothèse de la balle au bond tient bien la route.

En tout cas, si j’étais le procureur cocu de cette affaire, je ferais faire une enquête poussée sur les dessous de cet hôtel franco-newyorkais.

Un moment de sincérité – Un homme si puissant, si riche, aussi cultivé avoue que, pris dans le tourbillon d’une enquête judiciaire, il a eu peur. Et que sans son épouse, il aurait craqué. Tous les jours, de telles mésaventures arrivent à des hommes anonymes. Allez, M. Strauss-Kahn, puisqu’aujourd’hui vous avez du temps de libre, je suis sûr que vous allez vous pencher sur les relations entre la justice, la police et les citoyens… Un bon moyen de remplir les points de suspension qui ont mis fin à votre entretien télévisé.

Écolos : la police en vert

À l’automne, Europe Écologie les Verts (EELV) devrait sortir un programme de gouvernement dans lequel – c’est une première – la sécurité tiendra une place marquante. En attendant, histoire de se mettre en bouche, un petit recueil des « meilleures idées » vient de paraître : La sécurité urbaine en questions. Un projet coordonné par le Cédis, le centre de formation agréé pour les élus locaux, rédigé par des chercheurs et des élus, sous la direction d’Anne Wyvekens, directrice de recherche au CNRS.

Il s’agit d’une boîte à outils pour les écologistes, lesquels ont parfois un peu de mal à faire coïncider leur idéologie avec les contraintes liées à la sécurité, comme restreindre certaines libertés, voire tout simplement réprimer : « Difficile de mettre fin à la violence tout en s’affirmant non violent », peut-on lire dans ce document. Pourtant, le temps de l’angélisme est bien passé. La nouvelle génération des Verts a les pieds sur terre, comme Émilie Thérouin, adjointe au Maire d’Amiens, chargée de la sécurité et de la prévention des risques urbains. La seule élue écologiste responsable de la sécurité dans une ville de gauche.

Même s’il n’existe pas de structures, comme au PS, c’est un peu la Madame Sécurité des écolos, où elle œuvre la main dans la main avec Pierre Januel, coresponsable de la Commission Justice d’EELV. Pour elle, le maire doit être au centre de la sécurité sur le plan local, ce qu’on peut appeler la police au quotidien, sans toutefois que le premier magistrat de la commune ne s’implique dans la chaîne pénale. Une différence notable avec le Monsieur Sécurité du PS, Jean-Jacques Urvoas. Les Comités de liaisons police(s)/population pourraient être la base de cette gouvernance locale de la sécurité que les écologistes appellent de leurs vœux. Le premier s’est tenu à Amiens-nord à la suite des violences urbaines du printemps 2009. Il s’agit de rapprocher les habitants des quartiers « chauds » des services de police. Et de les faire participer à leur propre sécurité en instaurant une confiance à tous les niveaux. C’est le contre-pied de la politique actuelle basée sur la tolérance zéro et la confrontation permanente, comme s’il s’agissait de savoir qui a la plus grosse. Aujourd’hui, regrette Christian Mouhanna (CESDIP-CNRS) : « Il n’est plus question de médiation ou de prévention par les gardiens de la paix, il faut de la répression chiffrée ». La volonté actuelle est d’ailleurs d’entraîner les polices municipales dans ce scénario, d’où la décision d’attribuer la qualité d’OPJ à certains de ses membres. Un projet retoqué par le Conseil constitutionnel.

Extrait du document « Orientation du projet Europe Écologie - Les Verts 2012 »

Si en 2012 il y a alternance politique, les policiers municipaux devront se faire une raison, ils reviendront à leurs missions de base, réputées moins dangereuses, et se contenteront sans doute d’un armement de 6° catégorie. Donc, pas d’armes à feu, ni Flash-ball ni Taser, mais en revanche des moyens de protection adéquats.

Pour résumer la doctrine écologiste, du moins telle que je l’ai comprise, le maintien de l’ordre et la police répressive doivent rester du domaine exclusif de l’État, car lui seul a le « monopole de la coercition légitime ». Raison pour laquelle, les policiers et les gendarmes sont armés. Il en va différemment pour les policiers municipaux. Ils ne doivent pas être les duplicatas de leurs collègues de la Nationale mais au contraire montrer leur originalité et leur différence, en fonction de la commune où ils exercent. EELV est très proche du PS sur ce sujet, que l’on parle de police de proximité (même si le mot est tabou), de police du quotidien ou de tranquillité publique. Un directeur de la tranquillité publique, comme à Nantes, ça a de la gueule, non !

Quant aux préfets, ils devraient dépendre du Premier ministre et non du ministre de l’Intérieur, nous dit le pré-projet écolo. Car ils sont les représentants de l’État dans le département et non d’un seul ministre, et pourtant, ils consacrent le plus clair de leur activité aux problèmes de sécurité, au détriment des autres services de l’État. De nos jours, que ce soit dans la justice, la police ou la gendarmerie, plus personne n’agit, tout le monde réagit. La pression écrase. Les préfets de département, assis sur des sièges éjectables, sont devenus des chefs de police – d’ailleurs certains sont d’anciens chefs de police.

Le programme sécurité d’EELV devrait finalement être très proche de celui du PS. D’ailleurs, la semaine dernière, une première réunion de travail s’est tenue entre les deux mouvements politiques « sur l’établissement du volet « sécurité » d’une éventuelle plate-forme gouvernementale pour la prochaine législature », écrit Jean-Jacques Urvoas sur son blog. Il existe quelques différences, m’a dit Émilie Thérouin, comme par exemple la création d’un grand ministère de la Règle et du Droit qui regrouperait justice et police, projet cher au député du Finistère qui ne semble pas faire école chez les Verts. Peut-être que la candidate Éva Joly a des idées plus personnelles sur le sujet…

Touche pas à ma PP !

À la veille des élections présidentielles, la préfecture de police de Paris tremblerait-elle sur ses bases ? Déjà qu’elle doit déménager… Pour l’heure, le préfet de police, Michel Gaudin, met les pieds dans le plat et se permet de juger les juges. À ses yeux, ils feraient preuve d’une trop grande mansuétude, notamment vis-à-vis des récidivistes. « Je communiquerai régulièrement sur le cas de ces délinquants, souvent mineurs, que la police arrête avec plus de cinquante délits à leur passif », dit-il. Je suppose qu’il voulait dire « à leur actif ». Et pour mieux faire passer l’idée que les magistrats ne font pas leur travail, il prend les médias à témoin en diffusant des flashes hebdomadaires d’information. « Ici sur un cambrioleur « qui pourra fêter sa 50e arrestation en prison », là sur un receleur « connu pour 72 rôles », ailleurs sur un « voleur de voitures interpellé pour la 97e fois » », écrit Jean-Marc Leclerc dans Le Figaro du 8 septembre 2011.

Pour cela, le préfet a mis en place un système de triage pour identifier ces délinquants d’habitudes, suspectés, pour faire simple… de ne pas avoir modifié leurs habitudes. Et il a donné des instructions au directeur de la PJ afin de les retrouver et de les suivre à la trace. Une mission paraît-il prioritaire. Cette volonté du préfet s’appuierait sur le rapport du député Éric Ciotti, le monsieur sécurité de l’UMP.

Dans le genre embrouillamini, on ne peut guère faire mieux. En exagérant à peine, on peut dire que le représentant du gouvernement (pouvoir exécutif) fustige les juges (pouvoir judiciaire) en tenant compte du rapport d’un député (pouvoir législatif) qui agit au nom d’un parti politique. Allô ! Montesquieu…

La préfecture de police est une institution unique en Europe qui prive le maire de Paris de ses pouvoirs de police et le préfet de Paris (et non de police) de ses pouvoirs de représentant de l’État dans le département. Elle fait de la PP un État dans l’État, et le préfet de police est certainement l’un des hommes les plus puissants de France. Il est à la fois responsable de la sécurité des personnes et des biens, de la sécurité civile et de la police administrative. Et il est en outre préfet de défense de l’Île-de-France.

On comprend mieux pourquoi Jean-Jacques Urvoas, le monsieur sécurité du PS, estime qu’il faut démembrer la PP. Une idée qui provoque bien des grincements de dents, comme un hourvari au sein du sérail. C’est l’ancien préfet de police Philippe Massoni (1993-2001) qui est monté au créneau. Il faut reconnaître qu’il le fait avec circonspection. « L’organisation de la police française est certainement perfectible mais il n’est pas certain que la suppression de l’institution qui en est la clef de voûte depuis plus de deux siècles apparaisse comme une piste à suivre », peut-on lire dans une dépêche AFP qui rapporte ses propos.

La pucelle change de bord – Résurgence du passé, la PP a officiellement vu le jour sous le premier consul Bonaparte, et depuis, elle a résisté à toutes les attaques. Ainsi, lors de la dernière guerre, même si de nombreux policiers ont œuvré dans l’ombre pour combattre l’ennemi, il n’en demeure pas moins vrai que la police parisienne a arrêté environ 40 % des 70 000 Juifs déportés de France. Ces policiers-là n’ont pas su « braver les interdits » ni « contrevenir aux ordres inacceptables », comme le dit si justement le préfet Gaudin dans la préface d’un document « Au cœur de la préfecture de police : de la Résistance à la Libération » (Luc Rudolph – Éd. LBM). Un choc qui aurait dû être fatal à la Grande Maison. Alors que sous Pétain, déjà, elle avait résisté aux velléités de réformes du ministre de l’Intérieur Pierre Pucheu, l’inventeur des « Brigades spéciales ». En 1966, à la suite de l’affaire Ben Barka, sous la pression du président De Gaulle, le ministre de l’Intérieur Roger Frey étatise l’ensemble des forces de police. C’est la création de la police nationale qui réunit à la fois la sûreté nationale et la préfecture de police. Enfin une vraie réforme ! À l’arrivée, une même tenue, la même carte tricolore, la même formation – et la pucelle, cette plaque avec le numéro de l’agent, qui change de côté. Dorénavant, tout le monde la portera à gauche, ou à droite, je ne sais plus. C’est peut-être la seule conséquence visible de cette réforme. Je plaisante, mais, police d’État ou pas, la toute puissance de la PP reste intacte. Et, ces dernières années, sous la pression du président Sarkozy, sa compétence s’est même étendue aux départements qui entourent la capitale.

La PP, indissociable d’un État centralisé – Pour le député socialiste J.J. Urvoas, elle a été instituée pour protéger l’État plus que pour protéger la population. Et dans un sens, on comprend bien que la ville où siègent les principales institutions du pays doive faire l’objet de toutes les attentions. Mais cela est moins vrai en matière de police judiciaire. Comment expliquer, par exemple, qu’un préfet soit averti, parfois avant les magistrats, d’une enquête politiquement sensible ? Qu’est-ce qui justifie que la brillante brigade criminelle du 36 soit sous la houlette du représentant du pouvoir exécutif ? Situation tellement gênante, que dans les années 70, de jeunes magistrats sont partis en guerre contre ce système qui les prive d’une partie de leurs prérogatives. Combat perdu.

Et l’on se souvient de l’affaire Tibéri, en 1996. Olivier Foll, alors patron de la PJ, refuse que ses fonctionnaires assistent le juge Halphen lors d’une perquisition au domicile des époux Tibéri. Même s’il assume, tout le monde sait bien qu’il n’a fait qu’obéir aux incitations pressantes de sa hiérarchie, en l’occurrence le ministre de l’Intérieur Jean-Louis Debré, et le secrétaire général de l’Élysée, Dominique de Villepin. Un véritable scandale pour les syndicats de la magistrature. Le symbole d’une police judiciaire à la botte du pouvoir, etc. Et ils réclament à grands cris le rattachement de la PJ à la Chancellerie. L’année suivante, le gouvernement change de bord, comme la pucelle, il passe de la droite à la gauche, et M. Jospin remplace M. Juppé. On va voir ce qu’on va voir ! Olivier Foll est débarqué et rejoint le cimetière aux éléphants. Fin de la séquence.

Le rattachement de la PJ à la justice est certainement une belle aventure intellectuelle, mais elle le restera. Je crois d’ailleurs que les policiers en n’ont pas envie. Certes, ils ont une double casquette, et dans leur travail quotidien beaucoup sont amenés à rendre compte aux magistrats, mais, dans les faits, ils n’ont qu’un chef, et il n’est pas place Vendôme. Et la PP restera monolithique. Nos prochains dirigeants auront d’ailleurs bien d’autres chats à fouetter que de s’occuper d’une institution à l’autarcie un peu agaçante, mais dont personne ne peut nier l’efficacité.

Finalement, je suis assez d’accord avec le préfet Massoni, la PP est une boutique qui tourne bien, mais elle est perfectible. On peut même dire qu’après tant d’années, la vieille dame n’aurait pas volé un bon lifting.

La baraka de Bernard Barresi, le rentier du banditisme

« Je trouve inacceptable qu’on me traite comme un moins que rien », a-t-il déclaré, hier, après que la présidente de la Cour d’assises de Colmar ait ajourné son procès. Et, bien qu’il soit tenu de repasser par la case prison, il doit se dire que sa baraka ne l’a pas complètement abandonné. Ça fait plus de vingt ans que ça dure…

Le 1er mars 1990, sur une bretelle d’accès à l’autoroute, près de Mulhouse, des véhicules bloquent un fourgon de transport de fonds, des hommes cagoulés en jaillissent et, sous la menace de leurs armes, ils font main basse sur 300 kg de billets de banque. Un butin estimé à plus de cinq millions d’euros. Pas un coup de feu. Ni vu ni connu. Du travail d’artiste.

Mais, à défaut de la moindre piste, la PJ de Marseille subodore que les truands ne sont pas forcément originaires de l’est de la France. Les policiers grattent un peu et parviennent à mettre un nom sur une partie des malfaiteurs. Il s’agit de « l’équipe de l’Opéra », dont Bernard Barresi est le maillon central. Mais celui-ci, bien informé, parvient à prendre la poudre d’escampette. En 1994, il est jugé par contumace et condamné à vingt ans de réclusion criminelle.

On pourrait penser qu’il s’est réfugié dans un pays paradisiaque avec sa part du gâteau, mais il n’en est rien. Le truand s’est métamorphosé en homme d’affaires. Et pour cela, comme le font tous ceux qui ne peuvent se montrer en plein jour, il utilise des prête-noms. Outre sa présence dans le monde interlope de la nuit, il apparaît (masqué) dans différentes entreprises, comme la construction d’une maison de retraite sur le site des anciens chantiers navals de La Ciotat. Opération qui nécessite, on le suppose, certaines relations dans l’administration, voire la politique. On dit aussi qu’il aurait des intérêts dans des entreprises étrangères, en Amérique du Sud, en Asie, au Maroc et même à Dubaï. Comme on ne prête qu’aux riches, il y a sans doute une part de légende dans tout ça, mais le fait est que dans la cité phocéenne, on parle (à mots couverts) des Barresi comme d’une famille régnante, avec porte ouverte chez bon nombre de notables.

En tout cas, en 2010, en dehors de quelques policiers proches de la retraite, personne ne s’intéresse plus à Bernard Barresi. En fait, les enquêteurs sont sur la piste d’une équipe de Corses et de Marseillais dirigée par les frères Campanella, lesquels sont fortement soupçonnés d’être les rois des jeux clandestins dans le sud de la France. Mais, sur les écoutes téléphoniques, apparaît souvent un personnage non identifié, un certain « Jean Bon ». On raconte qu’un jour, peut-être comme Archimède jaillissant tout nu de son bain, un policier hurle eurêka ! Du serrano au jambon, il venait de franchir le pas : la compagne de Barresi se nomme Carole Serrano. Le couple est arrêté en juin 2010 alors qu’il embarque sur un yacht de 27 mètres appartenant à l’armateur Alexandre Rodriguez. Une croisière de grand luxe à laquelle devaient participer les frères Campanella et leurs dames.

Les enquêteurs ressortent alors le dossier sur ce braquage vieux de vingt ans et effectuent des comparaisons d’ADN entre M. Barresi et les scellés de l’époque, miraculeusement conservés. La réponse est négative. Un certain Roland Talmon, alias « Le Gros », a moins de chance. En partant d’un mégot de cigarette retrouvé dans le cendrier de l’une des voitures utilisées lors du hold-up, ils sortent son nom du fichier des empreintes génétiques. Heureusement pour lui, les faits sont prescrits. Il est quand même sous la menace de poursuites pour recel et blanchiment, et, surtout, il est cité devant la Cour d’assises qui doit rejuger Bernard Barresi. Il sera donc simple témoin. Va-t-il enfoncer son complice présumé ? On ne le saura pas, puisque les avocats de l’accusé, Mes Eric Dupont-Moretti, Jean-Yves Liénard, Pierre Bruno, etc., ont soulevé un lièvre en déclarant que le mandat d’arrêt des années 90 n’avait pas été notifié régulièrement. D’où un pourvoi devant la Cour de cassation. Et la présidente de la Cour d’assises, Mme Anne Gailly, a dû refermer ses dossiers : « Le pourvoi en cassation d’un arrêt de la chambre d’accusation est suspensif », a-t-elle déclaré.

Le jugement est reporté à décembre 2011 – s’il a lieu.

En décortiquant l’imbroglio des sociétés créées par Bernard Barresi, les enquêteurs de la financière ont eu des surprises. Ainsi, l’un des cafés les plus renommés d’Aix-en-Provence lui appartiendrait. Sa compagne, Carole Serrano, était la gérante d’Alba Sécurité, une société de 143 salariés basée à Gardanne, laquelle, selon le site Bakchich, aurait été sous contrat avec le conseil général des Bouches-du-Rhône et aurait fourni des centaines de « stadiers » lors des matchs de l’OM. « Selon nos informations, dit Le Point, les policiers auraient trouvé lors des perquisitions des contrats entre Alba Sécurité, la municipalité de Marseille, le conseil général et l’OM. » Pour La Provence, en moins de dix ans, Alba s’est taillée une place de choix dans le bizness de la sécurité privée. On présume que la société ne faisait pas les transferts de fonds…

Certains murmurent que si cette affaire ressort aujourd’hui, c’est que Bernard Barresi a perdu ses protecteurs. Et déjà, quelques policiers véreux en ont fait les frais. Il faut dire qu’à l’approche des élections présidentielles, Marseille devient peu à peu l’épicentre d’un enjeu politique : la sécurité.

J’espère que les candidats auront quand même le temps de parler d’autres choses.

« Older posts Newer posts »

© 2025 POLICEtcetera

Theme by Anders NorenUp ↑